Eric a accepté de répondre à nos questions. Merci à lui !
Tu as été sélectionné pour ce douzième numéro avec ta nouvelle Out, peux-tu expliquer sa genèse ?
Out est née pendant le premier confinement. Durant ces quelques semaines de rupture, les parts de ma vie professionnelle (qui ne s’est jamais arrêtée pour moi pendant cette période), familiale et personnelle se sont regroupées au même endroit pour s’interroger mutuellement.

Depuis plusieurs années, j’ai rassemblé des idées sans connexion les unes avec les autres. Des souvenirs, des rencontres, des phrases ou des situations qui m’ont marqué, mais aussi, de pures inventions, issues d’un esprit créatif nourri par une dizaine d’années d’études en arts plastiques. Ainsi, toutes ces notes s’accumulaient sur mon cloud sans véritable but. Qu’est-ce qui a été le déclic ? Le terme « performance », vocabulaire incontournable des entreprises que je me plaisais à prendre au premier degré ? Ces rencontres que j’ai pu faire dans mes précédents postes de fonctionnaires en total burn-out ou à l’opposé, souffrant d’une absence totale de mission à accomplir (bore-out) ? À moins que ce ne soit l’article que j’avais lu sur ces ouvriers de l’industrie du poulet qui, aux États-Unis, étaient obligés de porter des couches pour travailler non-stop ? Une chose est sûre : toutes ces bribes se sont croisées au moment de ce 1er confinement et ont créé l’étincelle qui a donné naissance à Out.
Plus à l’aise dans un registre particulier ? De quoi aimes-tu parler dans tes histoires ?
Je ne pense pas avoir de registre particulier. Je me découvre encore (je ne suis qu’à mes débuts). Mais, je me rends compte que j’aime dérouter les lecteurs et les faire réfléchir. J’aime beaucoup les situations paradoxales et montrer que tout n’est jamais tout blanc ou que du noir peut jaillir la lumière. J’aime beaucoup prendre le contre-pied de certaines opinions toutes faites ou dépeindre des personnalités aux histoires ou aux psychologies plus complexes qu’il n’y paraît.
Quand et comment as-tu commencé à écrire ? Te rappelles-tu ta première histoire ?
Comme beaucoup d’entre nous, j’ai commencé à écrire à la maternelle… mon prénom. Sinon, plus sérieusement, pendant plusieurs années, je me suis traîné un projet de roman. J’ai peaufiné la trame et passé plusieurs mois à faire des recherches historiques sur le lieu et l’époque de mon intrigue… pour en rester à ce stade. J’avais sans doute eu là une ambition démesurée face à mes moyens et au temps libre qui m’était consacré à l’époque.
Quel est ton rythme d’écriture ?
J’écris peu, mais très régulièrement. Entre 200 et 2000 mots par semaine environ. C’est dû à mon temps libre, très restreint. Mais je m’astreins à écrire. Et pour cela, je me suis imposé une micronouvelle par semaine sur mon compte Instagram. Ça me permet d’évacuer certaines idées, certaines scènes dont je ne sais que faire et ça me fait garder un rythme d’écriture.
Comment construis-tu ton travail ?
C’est tout d’abord un processus mental, long. J’ai beaucoup (trop) de scènes, d’histoires, de situations en permanence dans la tête. Quand j’ai trouvé l’enchaînement, la situation, l’effet de surprise, je me lance dans un découpage précis de l’histoire. Plus c’est détaillé, plus ça me rassure. Je ne me lance jamais dans une quelconque écriture automatique sans but (je laisse ça aux surréalistes que j’apprécie énormément, du reste). Je calcule tout. Pas de hasard dans l’écriture pour laisser toute la liberté au lecteur de s’évader… où je le souhaite.
Plutôt nouvelle ou roman ?
Plutôt nouvelle.
Écrire un roman me fait encore peur (faiblesse de débutant ?) et semble incompatible avec les vies pro, familiale et perso que je mène actuellement, même si j’ai quelques beaux synopsis en cours d’écriture. Écrire des nouvelles me rassure. Déjà, ça me prouve qu’avec toutes mes contraintes personnelles, on peut quand même produire une histoire, une scène, une description qui fait réagir. Et ensuite ces formats courts permettent de se tester : avec quels points de vue sommes-nous plus à l’aise ? Quel temps du récit nous vient spontanément ? Suis-je plus à l’aise dans l’écriture de dialogues ou dans l’art de la description ? etc.
Et puis je crois beaucoup au format de la nouvelle. Ces histoires courtes correspondent à un certain lectorat d’hommes et de femmes pressés, mais qui, bien qu’ayant du mal à faire rentrer leur vie quotidienne en 24 heures, cherchent, à travers ces quelques pages, un moyen de se projeter ailleurs… sans avoir recours à des casques de réalité virtuelle.
Pourquoi être indépendant ?
Par nature. Je me suis toujours nourri de contre-cultures et j’ai « le travers » de penser à côté, différemment, avec du recul pour interroger des faits, des situations, des vérités acceptés par tous. Alors, pour l’instant, être indépendant correspond tout à fait à mon état d’esprit.
Qu’est-ce qui te plaît le plus dans ce statut ?
Pour ce qui est de l’écriture, j’ai davantage un statut de débutant que d’indépendant. Je découvre l’écriture et les petits mondes qui gravitent autour de ce qui est pour beaucoup, une passion, et, pour un plus petit nombre, un métier. Ce qui me plait, dans mon statut actuel, c’est d’écrire sans grandes contraintes hormis celles du cadre imposé lors d’appels à textes ou de concours. Peut-être est-ce différent lorsqu’on est sous contrat avec une maison d’édition…
À l’inverse, qu’est-ce qui est le plus dur pour toi ?
Même si, pour l’instant, je n’ai rien à vendre, le plus difficile pour moi est de gagner des lecteurs et lectrices. J’aime avoir des retours sur mes récits. Et cela passe par de la promotion. Il faut nécessairement se faire connaître. C’est tout l’art du marketing et des techniques de force de vente, notamment dans le domaine du digital. Même si c’est un domaine qui ne m’est pas étranger, je n’ai déjà pas suffisamment de temps pour écrire, alors si je dois encore le diviser pour vendre mes récits, j’imagine finir… par vendre mes productions au mot, comme un confiseur qui vendrait ses bonbons à la pièce.
Quel type de lecteur es-tu ?
Je suis un lecteur paresseux et cohérent. En fait, je n’ai que la toute fin de soirée pour lire. Et au bout de quelques pages (4 suffisent parfois), je tombe dans les bras de Morphée. D’où la lecture de nouvelles (j’en lis une à deux par semaine).
Évidemment je ne compte pas le temps où je relis mes propres écrits (activité principalement réservée le week-end).
Bref, j’écris des nouvelles et je lis des nouvelles. Quoi de plus cohérent ?
Dans ce numéro 12 de L’Indé Panda, tu nous présentes ta nouvelle Ménages, peux-tu me raconter ce qui t’a inspiré ?
Comme dit précédemment, j’aime créer des personnages qui ont des secrets, des personnalités multiples et notamment, certains êtres qui peuvent paraître faibles ou anodins et se révèlent être redoutables. L’idée de Ménages m’est venue dans une chambre d’hôtel qui hébergeait principalement des entreprises pour des séminaires. La chambre était propre, bien rangée… ce qui m’a donné l’idée d’inspecter les lieux, tel un privé chargé de retrouver le moindre détail (oui, les écrivains ont des réflexions et des réflexes bizarres…). Je n’ai trouvé qu’un cil. L’indice était suffisant pour m’imaginer une femme de ménage dont le métier était d’effacer toute trace des précédents passages dans cette chambre. Une femme avec une histoire, des blessures et une force terrible en elle… terriblement destructrice.
Cette nouvelle est très courte (moins de 5000 signes). Après avoir été appréciée par bon nombre de lecteurs sur Short Édition, elle a désormais été totalement engloutie par le nouveau virage marketing qu’a décidé cette plateforme, emportant ma nouvelle (et des milliers d’autres) et la privant de nouveaux lecteurs !
Dis-moi, L’Indé Panda, c’est quoi pour toi ?
L’indé Panda est avant tout le premier magazine qui m’a publié. C’est une étape importante dans mes débuts actuels qui, avec les retours du jury et de certains lecteurs, m’ont encouragé à poursuivre et à concourir pour d’autres appels à texte, dont celui de l’Encrier Renversé, autre magazine de référence pour les nouvellistes. Cette première marche de L’Indé Panda m’a finalement permis de monter sur la deuxième du podium de cet autre concours. 2 distinctions à quelques mois d’intervalles. Pour des débuts, ça fait du bien !
Pour finir, peux-tu me parler de ton actualité ? Une sortie récente, un projet sur lequel tu travailles ?
Concernant mon actualité, je crée, chaque semaine, une micronouvelle sur mon compte Instagram @eric.laisne. Un compte uniquement dédié à ces petites histoires drôles ou inquiétantes dans lesquelles j’essaie d’instaurer une chute qui peut surprendre.
Je suis également très fier d’être publié dans le numéro 92 de l’Encrier Renversé en tant que finaliste (2e) pour une nouvelle qui me tenait beaucoup à cœur, « l’objet de tous les regards ». Cette nouvelle a démarré comme souvent, avec un « et si… » en m’imaginant une femme, dans une situation particulière à une période tout aussi particulière de l’histoire. Cette idée me séduisait de par l’ironie et le paradoxe qu’elle produisait, et ce, durablement. Arroseur arrosé, je me suis rendu compte, au moment de ma documentation pré-rédactionnelle, que cette idée « originale » n’était autre qu’un fait ayant existé. Dites-vous bien que cette nouvelle s’inspire finalement d’une histoire vraie. C’est pourquoi j’ai tendance à voir cette nouvelle comme une véritable révélation autant pour le lecteur que pour moi-même.
Quoi ? Je ne vous ai pas vraiment résumé mon récit ? C’est vrai. Mais avouez que ça donne envie de s’y plonger.
Enfin, en projet, je prépare un recueil de nouvelles dédié aux « Invisibles », à celles et ceux qui restent dans l’ombre, parce qu’on leur demande, parce qu’ils le souhaitent, ou parce qu’ils ne sont plus des nôtres. Mais, à l’instar des personnages qu’un écrivain imagine, ce n’est pas parce qu’on ne les voit pas qu’ils n’existent pas.
Découvrez Out dans L’Indé Panda 12
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