Interview Didier Betmalle

Didier Betmalle, au sommaire de ce troisième numéro avec sa nouvelle horrifique « Le coin des curieux » a accepté de répondre à nos questions. Merci à lui !   Tu as été sélectionné pour ce troisième numéro avec ta nouvelle « Le coin des curieux », peux-tu expliquer sa genèse ? J’avais en tête l’histoire d’une graine qui produirait un légume monstrueux. J’ai commencé par réunir des éléments réalistes qui me permettraient de justifier la mutation d’un germe. C’était tout ce qui m’importait au départ. Que cette fiction soit vraisemblable. Le Centre d’Essais atomiques de Fontenay-aux-Roses est tout près de chez moi, et en fouillant pour trouver des conséquences nocives plausibles, j’ai imaginé une pollution accidentelle des eaux de source qui arrosent les jardins potagers du coin. Tout ça m’a pris pas mal de temps, mais finalement ne figure d’aucune façon dans le récit. Il faut croire que j’avais pourtant besoin de cet arrière-plan réaliste comme lanceur. L’étape suivante ça a été la création du personnage narrateur. Une vraie silhouette que je croise de temps en temps et que je trouve typique du fonctionnaire, sur laquelle j’ai greffé mon bonhomme ridicule, Simon Lemoine. Ensuite l’idée des planches botaniques m’est venue en consultant des vieux bouquins lors d’un vide-grenier. Quand j’ai cherché un nom pour la dessinatrice des planches, je visualisais une tête de chouette, et Berthe Lulotte m’est venu par glissement de “Hulotte”. Tous les autres éléments sont apparus au fur et à mesure de l’écriture, dès que je suis entré dans la peau de Simon Lemoine, employé du fisc, vie rangée dans un dossier suspendu, cœur en peau de chagrin, obsessionnel au bord du délire. J’ai connu une longue pause de quelques mois avant de pouvoir mettre au point un final digne de ce nom à ce récit farfelu.   Plus à l’aise dans un registre particulier ? De quoi aimes-tu parler dans tes histoires ? Je constate que dans mes histoires s’imbriquent souvent réalisme et fantaisie, il y a une constante synergie entre les deux genres, ce qui me permet de peindre des portraits psychologiques étranges et vivants, avec une dimension comique, tirant vers le burlesque, voire le délire. Je suis attiré par les différentes manifestations de la folie qui sommeille en chacun de nous, dans les marges de notre personnalité.   Quand et comment as-tu commencé à écrire ? Te rappelles-tu ta première histoire ? Je n’ai pas de souvenir direct du moment où j’ai commencé à écrire. Mais par les récits que m’en faisaient mes parents je sais que j’ai commencé très tôt à leur soutenir des mensonges énormes, des fictions qui s’imposaient quand ils me demandaient ce que j’avais fait à l’école ou avec mes copains. Je crois qu’on commence à écrire dans ces moments-là, dès qu’on se lance oralement dans des comptes rendus imaginaires. Sinon, ma première histoire écrite avec le désir précis d’écrire, c’était une évocation poético-psychologique d’un spleen d’étudiant, où le métro jouait un rôle symbolique de “métamorphoseur” ou un truc de ce genre. Je ne me souviens pas des détails. C’était pompeux, ça j’en suis sûr.   Quel est ton rythme d’écriture ? Chaotique. Je ne suis pas de programme ni d’emploi du temps. J’y pense tout le temps, je crois, comme une rêverie continuelle, mais je ne suis pas à mon pupitre pour en tenir le journal. Si une idée me pousse à prendre des notes, je m’installe. Ça peut démarrer comme ça. Mais mon rythme naturel n’est pas celui de l’écriture. Je ne prends un tel rythme que si je travaille résolument sur un projet précis. Alors là je peux y passer beaucoup de temps, sans rien planifier, en rêvassant beaucoup, et en produisant efficacement par crise, par bouffées. Quand je coince, je vais marcher, faire les courses, faire la vaisselle, la cuisine, et ça travaille tout seul dans ma tête.   Comment construis-tu ton travail ? Prises de notes, parfois juste un nom, un mot, ou une phrase. Ça peut être aussi un début, écrit avec la conviction qu’il s’agit bien de l’incipit du récit à venir. Ensuite, je laisse mûrir. Le travail latent est long et indispensable. Quand je suis contraint de le raccourcir, dans le cas d’une participation à un moment d’écriture cadré, par exemple pour un concours, j’ai du mal à trouver mes ressources, à rassembler les matériaux et l’énergie nécessaires. Mais de ce point de vue, l’expérience des ateliers d’écriture m’a permis de me mobiliser plus aisément. Si je n’ai pas de contraintes le développement de mes projets peut s’étaler sur des années. Le travail sur la nouvelle “le principe de soustraction” s’est déroulé sur 15 ans. Je remanie beaucoup. Je me relis beaucoup, toujours depuis le début, ce qui m’énerve. Je sais que je perds beaucoup de temps avec ce défaut sans parvenir à m’en défaire complètement. Il y a toujours un moment, quelle que soit la nature de ce que j’ai entrepris, où j’ai besoin de prendre du recul en théorisant ce que je fais.   Plutôt nouvelle ou roman ? Plutôt nouvelle. Sans doute du fait de la lenteur de mon travail. J’ai achevé seulement deux romans. J’en ai deux autres en cours d’élaboration. Je travaille d’une façon beaucoup trop décousue pour construire aisément un roman qui exige une continuité dans le style, dans la tonalité, dans l’énergie. À cause de mes interruptions, je dois faire un effort pour retrouver l’esprit du projet à chacune de mes reprises, et cette seule perspective suffit parfois à me faire reculer, à retarder encore le moment de replonger. C’est un cercle vicieux qui rend l’écriture des romans problématique.   Pourquoi être indépendant ? Je pense que je serais incapable de défendre mes textes en face d’un directeur de publication qui contesterait la valeur de mon travail. C’est une situation dont la perspective me fait perdre complètement ma légitimité. Je n’ai pas de solidité de ce point de vue. Mais je n’ai jamais eu l’occasion de le vérifier. Jamais mes textes adressés aux éditeurs traditionnels n’ont fait l’objet d’une réponse positive. J’ai décidé il a une

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